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L’EDITO avec Aude Fellay : La mode post-COVID

Aude Fellay

En quête d’une nouvelle identité

Sans surprise, la pandémie a profondément impacté le secteur de la mode. Tous les échelons y ont laissé des plumes à l’exception des conglomérats qui chapeautent les grands noms du luxe. Au mois de mai, en pleine première vague, des acteur·trice·x·s de l’industrie se sont réuni·e·x·s autour deux initiatives appelant à des changements de fond : la lettre ouverte rédigée sous l’impulsion du créateur belge Dries Van Noten et la plateforme rewiringfashion lancée par la revue en ligne The Business of Fashion. En ajustant le calendrier et en se distançant de certaines pratiques, dont le défilé, leurs signataires entrevoient une manière de produire moins, mieux et au plus proche des attentes des consommateur·trice·x·s.

La fin du silence

Bien qu’issues de la crise sanitaire, ces initiatives répondent à la fragilité structurelle du système. Une longue série de « fins » en avait signalé l’étendue : le rachat de la marque éponyme de Dries van Noten en 2018 par le groupe espagnol Puig après plusieurs décennies d’indépendance ; la fermeture récente du concept store new yorkais Opening Ceremony qui s’était fait un nom dans la promotion des jeunes talents, dont la designer suisse Vanessa Schindler ; l’érosion de la marque Vetements qui semblait pourtant avoir compté dans l’annonce d’un changement de paradigme. Le transfert de la marque de Paris à Zürich en 2017 en avait constitué l’un des symboles.

Dissuadant la critique, le principe du « fake it until you make it », omniprésent dans la mode, a certainement participer à masquer l’état réel du secteur. Des figures tutélaires n’avaient pourtant pas manqué de tirer la sonnette d’alarme. En appelant à la fin du décalage entre les collections et les saisons, et à l’abandon des défilés coûteux, ces initiatives remettent en cause des pratiques qui paraissaient jusqu’alors intouchables. Elles mettent fin, par-là, à la loi du silence.

La jeune génération aux avant-postes

La relève exige des changements. Les collections HEAD 2020, réalisées au cours de la première vague, sont traversées par des problématiques urgentes qui touchent aussi bien à la question écologique qu’au racisme et aux discriminations des minorités sexuelles et de genre. Les collections de diplôme à l’accent durable se multiplient ; la pratique du surcyclage s’est généralisée. La nouvelle génération se rapproche à la fois de l’artisanat et des (bio)technologies : Emma Bruschi, alumna HEAD – Genève et lauréate 2020 du Prix 19 M des Métiers d’Art de Chanel, s’est mise au défi de faire pousser ses propres matières. La recherche entreprise à la HEAD s’attèle, quant à elle, à trouver une solution aux coûts de production prohibitifs de la maille pour les structures de petite taille. Le projet de faire naître une mode durable et juste se joue donc sur des fronts variés mais convergents.

La scène helvétique participe d’ailleurs à redessiner depuis quelques années déjà, les pratiques de la mode. Cette activité est le résultat d’un paysage qui s’est densifié : développer sa pratique en Suisse est une aspiration de plus en plus courante. Les jeunes labels soutenus par -Pulse Incubateur HES, Forbidden Denimeries, Lundi Piscine, Petit Favorite et Elliot Gagliardi, ont établi leur pratique à Genève. Cette génération d’alumni HEAD, souvent au bénéfice d’une expérience au sein des grandes maisons, se tourne vers le mono-produit ou l’accessoire afin de maîtriser les paramètres de production de leurs créations. À Lausanne, Vanessa Schindler propose bijoux et accessoires alors que Safia Semlali crée des sacs à partir de fins de stock. À Genève, le collectif de mode HIBYE se consacre à la transmission des savoirs et l’échange autour du vêtement. La plateforme Quality Time, réunissant certains de ces labels, explore quant à elle de nouveaux formats de présentation de la mode.

Secouée par la crise, une partie du système partage aujourd’hui les aspirations de cette nouvelle génération. Le 2 décembre dernier, les deux initiatives annonçaient joindre leur force afin de peser plus fermement sur les contours de l’avenir de la mode.